Ce livre tente de démontrer que la Résidence Alternée provoque des symptômes chez les enfants qui la subissent. Ce livre veut également démontrer que la résidence, si exclusive, se doit d’être chez la mère car le père serait incapable d’être un parent satisfaisant. Mais surtout selon elle, preuve à l’appui, l’attachement (dont les théories de Bowlby et ses précurseurs) ne peut se faire qu’à la mère.
Je commencerais par vous rappeler que les études de ce livre reposent sur une population de mamans se présentant à une association car elles sont insatisfaites de la décision du juge. Mme Phélip se trouve donc face à une concentration de femmes, toutes en souffrance et toutes dans une volonté d’obtenir ou de maintenir une résidence exclusive. Cela induit forcément une observation excessive de la souffrance des enfants et une interprétation erronée de l’origine de cette souffrance.
J’ajouterais que ce livre est fondé sur la consultation d’enfants en difficulté, ce qui encore une fois induit forcément que l’on ne trouve que des symptômes et de la douleur. Je ne m’attarderais pas non plus sur le fait qu’il manque à ce livre une étude sur une population neutre : celle qui ne souffre pas de la résidence alternée ou des enfants ayant des symptômes similaires dans un autre contexte. Cette étude complémentaire aurait permis de comprendre si les symptômes mentionnés dans ce livre sont bien dus à la résidence alternée.
Notons par ailleurs, que ce livre n’est basé que sur des études de cas et ne permet pas d’induire une généralité. En effet, aucune méthodologie de recherche n’a été proposée. Quels sont ses critères de recherche ? Quels sont ces outils ? Quelles méthodes qualitatives et quantitatives ont été employées ?
Concernant les analyses des spécialistes de la petite enfance, je me garderais bien des les critiquer. Je ne remettrais certainement pas en cause leur méthode d’investigation en pédopsychiatrie. Ce qu’ils ont trouvé est réel et il s’agit de prendre ces symptômes très au sérieux. Je n’ai néanmoins pas été convaincu par le lien de cause à effet. Je n’ai vu qu’une énumération de symptômes dont nous pourrions trouver d’autres causes que la résidence alternée. Je comprends bien qu’ils ne font que mettre en exergue ce qu’ils rencontrent dans leur cabinet et que leur expérience tend à démontrer que les enfants vivant en résidence alternée sont plus fragiles. Mais, est-ce la résidence alternée elle-même la responsable ? Serait-il possible que ce soit l’absence ou le trop plein d’écoute du ou des parents ? Serait-ce l’instrumentalisation de l’enfant par les parents ? Serait-ce la séparation ? Nous savons qu’un enfant de quelques mois perçoit en son corps la tension de celui qui le porte. Le bébé peut donc très bien être conditionné à ressentir la tension de sa mère au moment des départ. Celle-ci peut avoir une tendance à s’agripper à l’enfant. Beaucoup de chose serait à investiguer pour pouvoir bien comprendre l’origine de tous ces symptômes.
Par ailleurs, je me questionne sur le recul pris par les spécialistes de la petite enfance ? Est-il suffisant en temps et en nombre de patients ?
Jacqueline Phélip défend avec force que la difficulté ne vient pas de la mère – celle-ci ne pouvant être responsable d’une relation fusionnelle avec l’enfant ou être en proie à une dépression ou inconsciemment faire subir à l’enfant un chantage lié à la situation de séparation. Elle apporte, il est vrai, parfois, et très rapidement des éléments quant au fait que les symptômes des enfants se retrouvent chez des parents s’entendant bien après la séparation. Mais, encore une fois, cela ne prouve pas que la résidence alternée soit responsable de la souffrance de l’enfant. Et bien s’entendre avec son ex ne signifie pas d’emblée avoir une relation saine à son enfant ou ne pas être dépressif. Cette précipitation est dangereuse selon moi car d’autres difficultés, ailleurs que dans la résidence alternée, sont omises. Et alors, qu’en est-il de l’enfant ? A coté de quoi passons-nous pour le soutenir ?
Ce livre m’a particulièrement outrée car il est plus un livre anti-papa. En effet, il tend à prouver que les hommes ne peuvent intuitivement comprendre leur enfant. Ils sont réduits à une technicité. Nous sommes face à un raccourci non objectif. Je vois régulièrement des papas entièrement capable de ressentir les besoins de leur enfant. Il m’arrive même de voir des mamans s’en remettre entièrement à l’avis du père. Mais, peut-être les hommes que je rencontre ne sont pas les mêmes que ceux décrits par les femmes de ce livre ? Ou peut-être que les hommes ont changés depuis 2006, date de parution du livre (avant ils étaient de mauvais pères et maintenant ils en sont de bons ! ) ? Jacqueline Phélip parle de « mère bis » pour citer les pères qui s’occupent de leur enfant. Pourquoi ? Jacqueline Phélip n’a-t-elle pas évolué avec son temps. Les femmes travaillent, les hommes sont au foyer. Il n’existe plus de répartition des taches par genre mais plutôt par compétences et/ou par nécessité. Les mères sont-elles réduites à leur fonction nourricière et enveloppante ?
Les hommes seraient donc incapables d’agir avec l’enfant de manière intuitive, continue et de percevoir ses besoins intrinsèques. Mme Jacqueline Phélip a néanmoins oublié les risques de pathologies telles que les états-limites et les psychoses lorsque l’enfant reste collé à la mère. Elle a oublié de mentionner l’importance de la place du père dans la construction de la structure identitaire de l’enfant.
Mme Jacqueline Phélip se révolte de voir les pères peu présents et la justice donner parfois raison à ces pères. Mais, s’insurge t'elle lorsqu’il s’agit de congé parental. Comprend-elle que lorsqu’un père n’a le droit qu’à 10 jours contre 4 mois pour la mère, il lui est difficile de construire de manière continue une relation à son bébé. Bien sur, Jacqueline Phélip a raison, il s’agit de prendre en compte ce qui existe - le père n’est pas là mais la mère l’est. La mère est donc plus proche de son enfant et doit donc en conserver une garde totale. Je pourrais comprendre ce point de vue mais n’adhère pas pour autant à son combat. Celui-ci est ailleurs. Battons-nous pour une égalité des sexes face au congé parental ou pour une répartition intelligente dans le couple. Les modalités seraient à réfléchir. Mais déjà si un père pouvait s’occuper de son enfant au même titre que la mère, toute sa théorie sur le « pourvoyeur des soins » tomberait !!
De plus, une étude américaine de Michael Lamb dans laquelle sont observées les interactions des pères quand ils rentrent le soir alors que la mère est restée à la maison s’occuper des enfants. Il observe que la mère a un contact plus cutané et plus reposant car elle respecte le rythme de l’enfant. Le père, lui, quand il rentre le soir a une tendance à exciter l’enfant avec des jeux plus moteur, à poser des problèmes aux enfants sans les aider à les résoudre et à le remettre à la mère quand l’enfant est trop énervé. Pour faire simple, la mère respecte les rythmes de l’enfant alors que le père ne le fait pas. Jusque là, nous allons dans le sens de Jacqueline Phélip. Mais, Lang va plus loin. Il a constaté que lorsque c’est la mère qui travaille et le père qui reste au foyer, c’est l’inverse au niveau des enfants : le père respecte le rythme de l’enfant et la mère ne le fait pas.
Donc, ce n’est pas caractéristique de la fonction du père mais plutôt de la présence continue au bébé et à la présence discontinue où on impose son rythme sans le calmer. La structuration psychanalytique autour du rôle de la mère et du père est plus liée au fait d’une présence continue et une présence discontinue. Cette étude tendrait à prouver que le pourvoyeur de soin peut être la mère ou le père.
Par ailleurs aujourd’hui, beaucoup de pères prennent leur rôle très au sérieux et sont aussi présents que la mère. Doit-on cesser de laisser ces pères s’occuper de leur enfant ? Selon Jacqueline Phélip, deux pourvoyeurs de soin est source de souffrance pour l’enfant. Alors que fait-on des couples qui vivent maritalement et qui s’occupent de manière conjointe de leur enfant ? Et qu’en est-il de ces mères en garde exclusive qui comptent sur la crèche / la nounou, la grand-mère, la sœur, la copine, le centre de loisir … etc pour pouvoir allier carrière et foyer, pour pouvoir allier vie de maman et vie de femme. N’est-il pas plus judicieux de laisser l’enfant vivre chez ses deux parents ? L’enfant, alors, n’a que deux maisons et non plus 3 ou 4 parfois.
Néanmoins, je dois pointer quelques arguments qui m’ont fait réfléchir. Je pense en effet, comme Jacqueline Phélip, que la résidence alternée ne doit pas être une répartition rigide à 50/50 à tout prix. Il s’agit de trouver une formule au cas par cas qui convienne à tout le monde. Contrairement à Jacqueline Phélip, j’insiste sur le tout le monde. L’enfant n’est pas le seul qui puisse souffrir de la situation de séparation et de résidence alternée. Il est au centre de nos préoccupations, sa santé est essentielle mais il ne doit pas induire un sacrifice parental. Ce serait d’ailleurs destructeur pour l’enfant car ce serait lui faire porter en totalité les souffrances des parents – sans compter que l’enfant perçoit cette souffrance parentale et ne sait pas comment l’interpréter. La formule de la résidence alternée doit être réaliste, à savoir prendre en compte les agendas de chacun. Mais aussi et surtout, il s’agit d’être à l’écoute de l’enfant et de tenter de comprendre sa plainte quand il y en a une. Il est fort probable que dans les cas relaté dans ce livre, si la culpabilité et le conflit de loyauté que ressent l’enfant avaient été gérés et entendus par les DEUX parents, celui-ci aurait vu sa souffrance diminuer considérablement. Il me semble que le fait même de se savoir écouté et entendu résoudrait beaucoup de souffrance.
Pour conclure, je m’amuserais à donner un témoignage à la hauteur de ceux de Jacqueline Phélip.
Au moment de leur séparation, Clara et Jean (noms d’emprunt) décident d’appliquer une résidence alternée. Madeleine a 3 ans et Thomas 1 an. Jean ayant un travail alternant des gardes de 48h et des congés de 48 à 72 h, Clara accepte de faire en fonction de son planning qu’il donne tous les 25 du mois. Durant 18 mois, tout se passe bien. Mais, cela n’empêche pas Clara de refuser un divorce à l’amiable et chacun prend son avocat. Après son passage chez son avocate, Clara veut passer à une garde exclusive. Le JAF lui donne raison compte tenu de l’âge des enfants. Ceux-ci auront donc été durant 18 mois en résidence alternée et ne montraient aucuns symptômes mentionnés dans le livre. Ils semblaient plutôt heureux d’arriver chez chaque parent et confiants chaque fois qu’ils laissaient l’autre parent seul. Je mentirais en disant que tout était idyllique. Clara refusant le divorce compliquait les relations et confortés, au moment du passage à la garde exclusive, dans sa position propriétaire des enfants, elle s’est mise à rendre la relation entre les deux parents impossibles.
Un an passe en garde exclusive à la mère. Les enfants vont chez leur père les WE 1,3 & 5 et les mercredi 2 & 4. Aujourd’hui, cela fait six mois que le petit garçon qui a à présent 4 ans, hurle tous les dimanches et mercredis soirs pour rester plus longtemps chez son père ; les crises de pleurs sont tellement violentes et peuvent durer jusqu’à deux heures, qu’il en vomit parfois au moment du retour. Il s’est vu maigrir car il ne se nourrissait presque plus. Des colères, des crises et des comportements agressifs commençaient à devenir omniprésents. Thomas était devenu un enfant totalement intolérant à la frustration. De son coté, sa grande sœur, dans un âge plus rationnel, restait la même la plupart du temps, puis parfois, la veille des retours chez sa mère, elle craquait et se mettait à pleurer en secret dans son lit. C’est son frère qui le signalait au père. Il était alors impossible de réconforter la petite. Les pleurs pouvaient durer plusieurs heures. Les deux verbalisent clairement à leur père leur souhait d’être « pareil chez papa et pareil chez maman ». A aucun moment, cette histoire ne vient illustrer une mauvaise mère, ni une mère négligente. Le père de son coté ne dénigre jamais la mère ni ne se plaint ouvertement du mode de garde des enfants. Ils sont totalement protégés par le père qui souhaite qu’ils ne soient pas au milieu des problèmes de grands. La souffrance de ces enfants ne vient illustrer que le fait qu’ils ne voulaient être privés d’aucun parent.
Aujourd’hui et ce, depuis deux WE, la mère a accepté de confier les enfants un peu plus tard le dimanche soir, ce qui permet aux enfants de profiter d’un dimanche complet. Cela semble apaiser la souffrance de Thomas. Madeleine, de son coté, ose se lâcher et parle de plus en plus de son envie de voir son papa plus souvent. Le fait qu’elle ait appris que ses deux parents se sont parlés l’a autorisé à dire ce qu’elle ressent et sa souffrance est plus visible. Alors, nous questionnons encore ? Ce petit délai accordé le dimanche soir sera-t-il suffisant ? La mère refuse une résidence alternée et les enfants réclament de voir plus souvent leur père. Alors, je questionne Jacqueline Phélip sur ce cas, qui est responsable des symptômes ? La résidence exclusive à la mère, le passage de résidence alternée à exclusive, la parole des enfants qui est ignorée, le père, la mère ???